Présentez-vous en quelques mots. |
J’ai 21 ans, je suis encore dans mes études, niveau classe sociale on part sur enfant d’aide-soignante et de technicien informatique, donc pas quelque chose de fantastique, mais il y a de quoi faire ahah. Actuellement j’ai passé les étapes les plus techniques de ma transition donc les choses vont plutôt bien. Si on me connaît et qu’on est au courant, je préfère qu’on s’adresse à moi avec un pronom neutre : ol, ael, iel, autres, et des accords neutres (un peu faits maison 🙂 ou alors une répétition des 2 accords possibles), autrement moi-même j’utilise le neutre surtout, le féminin ou le masculin selon mon envie ou pour rééquilibrer les genrages. Cela fait 2 ans et 3 mois que je suis hormoné·e avec de l’œstrogène et de la progestérone. Ma famille, mes ami·e·s et mes partenaires me connaissent en tant que personnes trans non binaire et tout va bien =D ! |
Racontez votre parcours jusqu’à comprendre que vous étiez trans. Comment l’avez-vous compris ? |
Je vais pas trop verser dans le « comment j’étais petit·e » parce que je vois pas forcément d’intérêt, ou en tout cas je vous demanderais de pas prendre ça comme des « signes avant-coureurs » parce que c’est pas tant mon passé qui me définit en tant que personne non binaire, que mon présent. Je pense juste que c’est bon d’en parler. Tout d’abord, enfant j’ai eu longtemps un passing androgyne à cause de mes cheveux plutôt longs et ma bouille, j’ai aussi été attaqué·e pour ça par d’autres enfants. J’étais peu sociable mais finissais quand même par avoir des amis garçons un peu par défaut et je constatais quand même ne pas vraiment « fit in », comme mes amis dans ces groupes de garçons. Au niveau familial, on pourrait dire que j’étais plutôt flamboyant mais pas vraiment « féminine ». C’est vers le lycée, après avoir eu quelques relations amoureuses (qui n’ont jamais duré plus d’1 mois) avec des filles (vous pouvez voir ça comme un indice : ces filles pensaient sortir avec un garçon hétéro ahah, too bad je n’étais ni l’un ni l’autre), que j’ai commencé à expérimenter des choses niveau genre, le crayon noir aux yeux par exemple, essayer de moins négliger mes crushes (intérêt sentimental / amoureux un peu) pour les garçons que je refoulais pas mal parce qu’eux-mêmes n’étaient pas intéressés par moi.J’ai appris l’existence réelle des personnes trans et notamment des personnes non binaires à période, avant ça je commençais à me dire par défaut que « effectivement je n’étais pas un garçon, alors peut-être que j’étais une femme ? » mais la découverte de la non-binarité m’a, je pense, du moins à ce moment, épargné beaucoup de soucis, car c’était là que je me retrouvais, ni homme ni femme, dans cette partie existante mais non officielle du genre, la partie floue. Et j’ai très vite eu la chance de pouvoir échanger et sociabiliser avec d’autres personnes non binaires via les réseaux sociaux, en en apprenant plus sur moi, sur les variétés des expériences trans. |
Quelles ont été vos inquiétudes ? Comment les avez vous surmontées ? |
À cette même période, j’avais atteint mon pic d’adolescence, si l’on peut dire. J’avais beaucoup de poils sur le visage notamment, très durs, ma voix était devenue plus grave (même si elle avait toujours été plutôt grave ahah). Ce n’est pas tant la pilosité qui me gênait que sa présence constante et l’énorme difficulté, autant psychologique de physique, qu’était de passer de « poils sur le visage » à « pas de poils sur le visage ». Cela m’épuisait énormément et me rendait très triste. Ayant un cercle social qui me considérait à défaut comme un mec, je me sentais vraiment isolé.
Aujourd’hui, je peux dire que tout ça est derrière moi, j’ai notamment pu régler mes problèmes de poils de visage avec quelques séances d’épilations laser, maintenant il me reste beaucoup moins de poils mais assez pour profiter d’un visage avec pas de poils ou un peu selon le besoin que je ressens. De même, j’ai trouvé de nombreuxses ami·e·s de confiance parmi les communautés trans ; trouver d’autres personnes dans ce flou du genre et n’adhérant pas vraiment à une identité de genre stricte ou fixe fut tellement salvateur ! |
Comment se sont déroulés vos coming out ? Si vous ne l’avez pas (encore) fait, pourquoi ? |
Mon coming out trans est une longue et fastidieuse histoire, mais dont je pense la fin vous rassurera et, j’espère, vous fera comprendre que rien n’est peine perdue. Tout d’abord il y a eu le coming out à ma mère, j’avais 18 ans et tentais la phrase d’approche « oui je dois te dire un truc tu me le rappelleras », mais avec du recul je pense que j’aurais dû écrire une lettre ou un message, car avec cette petite phrase, on finit par la creuser et s’inquiéter. Si bien qu’elle est venue me trouver dans ma chambre pour me confronter et me faire cracher le morceau, je me souviens avoir pleuré en lui expliquant « Oui maman je ne suis pas un garçon, mais je suis pas une fille non plus, je suis autre, je suis non binaire je pense ». Ma mère a toujours été très ouverte et même si elle ne comprenait pas elle m’a dit « Ne pleure pas je t’aime et tu restes mon enfant ». Socialement, faire un coming out en tant que personne non binaire peut être très compliqué, bien qu’accueilli sans rejet, car difficilement compris et entendu de façon sérieuse. Les personnes non binaires ne devraient pas avoir honte ou peur, dans ce cas, si c’est dans leur intérêt, de modifier un peu la réalité afin que leurs parents, leurs proches ou autres, les écoutent. Vous avez le droit de vous dire fille ou garçon si ça vous épargne des explications à rallonge qui n’aboutissent pas. Vous pourrez remettre la réalité à plus tard une fois que vos besoins de transition seront en train d’être remplis. Aujourd’hui, 3 ans plus tard, il y a 6 mois j’ai « refait » mon coming out, alors que toute ma famille était présente. Et j’ai parlé avec plus d’arguments, plus de confiance en moi, et étant bien plus à l’aise dans ma transition : « Merci d’être là, je ne suis pas une femme. Je sais que c’est ce que je vous ai dit il y a 3 ans, mais c’est parce que c’était plus facile pour moi, aujourd’hui ça ne l’est plus et je n’ai plus de raison de ne pas le dire. Je suis non binaire, je ne suis ni une femme ni un homme. » |
Racontez quelles sont les personnes qui vous ont aidé·e durant votre transition. |
J’ai trouvé un réel soutien dans ma mère, lorsque je lui exprimais mes malaises vis-à-vis de mon apparence et d’à quel point ce n’était pas ce que je voulais, pas ce que j’étais. Elle l’entendait et me respectait. Elle m’a soutenue notamment en me permettant de me faire épiler la barbe a la cire (ahah c’était horrible mais pas pire que la dysphorie) chez une esthéticienne ou en me proposant du maquillage ou des vêtements différent de ceux d’avant, de quand elle me pensait mec.
Autrement, c’est dans la communauté trans que j’ai trouvé le soutien, l’écoute et l’échange ; elle m’a permis de me questionner et de savoir ce que je voulais et comment je le voulais. Mais aussi de savoir qu’il n’y avait rien de mal à utiliser un pronom « neutre » et à utiliser des accords neutres, même si ce n’est pas la norme. Si ça me met à l’aise c’est le plus important. C’est grâce à ce soutien technique que j’ai pu avoir mon ALD, me faire rembourser mes épilations laser, accéder à un traitement hormonal qui me convient, mieux me connaître moi-même et globalement, ce dont j’ai besoin pour être heureuxse en fait. |
Comment se passe votre transition ? Est-ce que ça valait le coup ? Est-ce le résultat auquel vous vous attendiez ? |
Malgré toutes les difficultés et l’adversité, je ne regrette absolument pas tout ce que j’ai vécu et je suis bien tel·le que je suis aujourd’hui. Je pense être définitivement plus épanoui·e qu’avant même si différent·e dans mon apparence, je suis la même personne niveau personnalité et émotion.
Je suis une personne non binaire, j’ai un traitement hormonal à base d’œstrogènes (ça ne fait pas de moi une femme), j’ai parfois de la pilosité faciale, parfois pas (ça ne fait pas de moi un homme ou une femme), parfois je préfère que ma poitrine ne se voit pas trop visible (ça ne fait pas de moi un homme), j’aime porter des bijoux, du vernis et occasionnellement je me maquille (ça ne fait pas de moi une femme), je suis poilue du corps et à l’aise comme ça (ça ne fait pas de moi un homme) ! On me dit bonjour madame d’un bout de la rue, bonjour monsieur après que je l’ai traversée, parfois les gens hésitent à me genrer, avant ça me faisait mal, aujourd’hui ça m’amuse et me fait plaisir, parce que je suis plus à l’aise avec moi même, ainsi qu’avec le flou de genre dans lequel je navigue. Tout ça pour dire, je suis non binaire, mon corps est non binaire autant que mon cœur. Et je vis ma non-binarité avec joie. |
Racontez un moment très fort de votre transition. |
Un des moments les plus forts de ma transition je pense que ç’a été lors de ma première ExisTrans. Parmi le cortège des personnes non binaires, je me suis senti·e tellement bien ! Plus seulÀe. Physiquement j’avais là des adelphes (sœurs / frères au neutre, équivalent de sibiling en anglais) tout autour de moi et on marchait pour nos droits, pour la reconnaissance de nos existences, de nos besoins et de nos demandes politiques.
À partir de cette fois-là, j’ai commencé à envisager ma transition non plus comme une marche solitaire à la montagne, mais comme une très longue promenade dans une ville habitée par tout un tas de gens, des personnes qui marchent encore et marcheront toujours ; d’autres qui finiront par se poser dans la ville et des gens qui ont emménagé et nous saluent et nous encouragent à marcher encore si c’est ce dont on a besoin. |
Un conseil à donner pour une personne trans qui voudrait se lancer ? |
Si je peux vous donner un conseil, c’est de ne pas négliger qui vous êtes, je sais que c’est tout ce que vous entendez tout le temps « dans la vie y a les hommes et les femmes et c’est comme ça et on ne change pas de sexe ».
Je vous le réaffirme au cas où vous doutiez : on peut changer de genre / sexe, et on peut n’être ni strictement femme, ni strictement homme. Moi j’appelle ça être non binaire, mais vous n’êtes bien sûr même pas obligé·e de vous décrire ainsi si c’est pas le mot qui vous convient. Personne d’autre, ni psychologues, ni psychiatres, ni parents, ni ami·e·s, ni « la société », ni « les théoriciens », ne saura mieux que vous-même qui vous êtes ou ce dont vous avez besoin pour connaître l’euphorie de genre. Vous n’êtes pas seul·e. Vous n’êtes pas indésirable. |